Évaluation des états de conservation des landes et tourbières de Bretagne
Avec la nouvelle méthodologie de rédaction des plans de gestion proposée par Réserves Naturelles de France (RNF), il fallait donc pouvoir évaluer l'état de conservation des habitats oligotrophes de ces espaces naturels sur un pas de temps de dix ans, nouvelle durée de validité des plans de gestion. Si le Muséum national d’histoire naturelle avait publié un certain nombre de documents permettant ce type d'évaluation sur d'autres habitats, les habitats landicoles ne faisaient pas encore l'objet d'une telle attention. Or, le gestionnaire de landes est, d'une manière générale, un pragmatique qui passe autant de temps à conduire un tracteur qu'à faire des relevés de végétation. L'idée était donc de prendre la main sur la construction d'une grille d'évaluation des états de conservation des habitats oligotrophes de façon à disposer d'indicateurs communs et de rester dans ce qui pouvait être suivi par des gestionnaires de terrain, tout en intégrant les avis éclairés du Conservatoire botanique national de Brest (CBNB) et de Bernard Clément, professeur émérite de l'université de Rennes I spécialisé dans les milieux tourbeux et landicoles, membre du CSRPN, du groupe d'études des tourbières (GET) et de la plupart des Conseils scientifiques des réserves naturelles citées précédemment.
Au cours de cette année 2016, le collectif se réunit quatre journées en salle et une journée sur le terrain avec le CBNB pour confronter la première ébauche de grille avec la dure réalité du terrain. L'échelle de travail est celle du polygone d'habitat d'intérêt communautaire puisque tous les sites disposent de cartes d'habitats et que ça correspond souvent à une unité de gestion. Ce travail s'appuie sur le guide d'application de la méthode d'évaluation des états de conservation des habitats agropastoraux d'intérêt communautaire (Maciejewski L., Seytre L., Van Es J.& Dupont P., 2015). La grille d'évaluation de chaque type d'habitat part d'un total de 100 points. Pour la plupart des critères d’évaluation 0, 5 ou 10 points sont enlevés à ce total selon la modalité. Quand il s'agit d'une modalité négative pour l’état de conservation de l'habitat et selon son importance, c'est 10 ou 5 points qui sont enlevés, 0 si elle est positive. Si par une action de gestion, le mauvais état de conservation est réversible, alors la note est plus sévère, si le facteur lié à l'état de conservation est subi, alors la note sera plus indulgente. De la même façon, la pénalité est faible quand il y a un risque de doublon sur plusieurs critères comme, par exemple, « fermeture du milieu » et « présence d’espèces ligneuses ». Des bonus de 5 points sont accordés quand des espèces végétales patrimoniales et caractéristiques sont présentes ; 0 point si elles sont absentes. L'absence d'une espèce patrimoniale ne signifie pas que l'habitat soit en mauvais état de conservation mais c'est un « plus » si elle est présente. Pour chaque habitat, des indicateurs spécifiques ont pu être supprimés, ajoutés (acidité et conductivité de l'eau pour les tourbières de pente) ou modulés (nombre de strates pour un boisement tourbeux). Globalement, chaque grille propose d'évaluer les critères suivants :
- l'évolution de la surface du polygone « habitat » ;
- la connectivité du polygone avec les habitats voisins grâce à un tableau simple d'utilisation ;
- le recouvrement par les ligneux ;
- l'hétérogénéité structurelle de la végétation ;
- la présence d'espèces caractéristiques de l'habitat (espèces indicatrices et espèces compagnes) ;
- le calcul du coefficient d'Ellenberg pour les valeurs des indices N (nutriments du sol) et F (humidité édaphique) ;
- la présence d'espèces indicatrices de processus dynamiques ;
- la présence d'espèce végétale à forte valeur patrimoniale ;
- les altérations directes et diffuses grâce à un deuxième tableau simple d'utilisation ;
Chaque polygone évalué est ensuite renseigné sous la table attributaire de la couche « habitats » du projet SIG. L'idée n'étant pas forcément d'établir un tableau de bord dont les conclusions peuvent être mal comprises car trop simplifiées (codes couleur) ou trop complexes (graphiques en radar) dans leur représentation. La cartographie des états de conservation accompagnée d'un commentaire rédigé par le gestionnaire est le meilleur moyen de rendre compte du succès ou de l'échec d'une gestion entreprise à long terme.
En 2017, le collectif s'élargit avec la participation de la chargée de mission des Espaces naturels sensibles du département d'Ille et Vilaine. Les deux années suivantes sont mises à profit pour tester la méthode sur le terrain et préciser les valeurs des différents critères. Plusieurs gestionnaires l'appliquent sur leur site et complètent leur tableau de bord. Enfin, c'est en 2019 que le rapport présentant cette méthodologie est publié et diffusé (disponible au téléchargement ci-dessous).
Emmanuel Holder,
pour le collectif de gestionnaires de landes et tourbières de Bretagne